A la recherche de nos moulins
Nous assistons en Avesnois depuis plusieurs années à un regain d’intérêt pour la connaissance de notre passé et plus particulièrement de notre histoire locale. De nos jours ce besoin croissant de comprendre l’histoire de nos campagnes et de nos villages s’exprime de façon incontestable à travers la visite de notre patrimoine local. On aime ainsi flâner sur les sentiers de la mémoire de son village pour s’imprégner du lieu et aussi « se ressourcer ». On peut alors y découvrir au détour d’une route, d’un bois ou d’une rivière ce paysage actuel qu’une communauté d’habitants a essayé d’harmoniser au fil des siècles. On aime aussi marcher sur les traces de la vie quotidienne de nos ancêtres en visitant demeures, fontaines, lavoirs, chapelles, moulins…
Cette soif de connaissance historique est d’autant plus forte que nous nous trouvons en Avesnois, terre emblématique d’Histoire, entre villes aux nombreux remparts, églises fortifiées, et châteaux forts. Sur le plan activité humaine l’Avesnois est à la fois un territoire rural entre ses bocages, ses villages typiques, ses fermes, et une région d’industrie ancienne, à travers sa topographie et son réseau hydraulique ayant donné naissance entre autres aux mines de fer, aux forges et aux moulins, activités industrielles aujourd’hui disparues.
Les moulins ont été le siège d’une activité économique fondamentale au sein de l’économie rurale et leur fonctionnement a constitué souvent l’élément essentiel d’une communauté villageoise. Ils furent au cœur de la vie des villages, du Moyen-âge au XIXe siècle. Avant la Révolution, leur utilisation était sous le contrôle d’un abbé ou d’un seigneur. Ils étaient appelés moulins banaux car leurs propriétaires percevaient une redevance, un ban. La recherche de leur passé est d’autant plus motivante qu’elle concerne aussi la découverte de la vie des meuniers qui les ont habités.
Méthodologie : Recherches et Documents
Le but de ce site est donc de reconstituer l’histoire des moulins de notre région et celle de leurs meuniers, et ce à partir des actes civils ou administratifs qu’ils nous ont laissés. Leur découverte s’articule autour de recherches orientées dans trois directions : juridique, historique et technique.
La première, juridique, permet de découvrir si l’usine a une existence légale et de savoir si elle possède un règlement d’eau. Le 17 juillet 1793, le droit de ban étant supprimé, de nombreux particuliers se mettent à construire de nouveaux moulins. Un décret des 28 sept. – 6 oct. 1791 énonce alors le principe d’un contrôle de ces usines dans le but de « s’assurer de leur bon état de fonctionnement afin de ne pas causer de dommages au voisinage ». Par une ordonnance du 9 février – 1 er mars 1825, tous les établissements vont faire l’objet d’enquêtes et être autorisés à fonctionner par un règlement d’eau. Ces dossiers consultables dans la Série S des Archives Départementales du Nord sont riches en procès-verbaux détaillés des installations, accompagnés parfois de plans.
La deuxième orientation, historique, a pour objet de reconstituer la vie des meuniers successifs. Elle consiste à consulter d’une part les sources d’archives généalogiques locales, d’autre part la série Q aux A.D.N qui permet par un dépouillement des tables de retracer l’histoire de l’exploitation, au moyen des baux et des actes de vente, et enfin les cadastres qui donnent les noms des propriétaires successifs.
Le troisième point, technique, est de découvrir l’équipement du moulin aux différentes périodes de sa vie, son éventuelle évolution en tant qu’établissement artisanal ou industriel. Profitons ici pour décrire sommairement ces moulins à eau.
La roue est un élément essentiel du moulin car sa forme et sa dimension sont déterminantes pour capter l’énergie cinétique de l’eau. Elle est fonction du relief du terrain et du débit de l’eau. La roue est perpendiculaire et bien souvent « en dessous », composée de palettes, nommée également roue à aubes. La ventellerie est l’ensemble des vannes. Elle est composée d’une vanne molleresse servant à alimenter en eau la roue et d’une ou plusieurs vannes de décharge. La crémaillère est un système en fer et dentelé permettant d’actionner les vannes. Les réglementations sévères feront s’ajouter à ces vannes un déversoir, construction en maçonnerie d’une hauteur réglementée qui permet au trop plein d’eau de s’échapper automatiquement sans l’ouverture des vannes de décharge, limitant ainsi la hauteur du niveau du bief. Celui-ci est une retenue d’eau en amont du moulin qui sert de réservoir. L’importance du bief dépend de la hauteur que l’on veut donner à la chute d’eau.
Recourir également à la série S aux Archives Départementales du Nord permet de connaitre cet aspect technique du moulin.
Les enquêtes statistiques vont également fournir des indications sur les équipements et sur les usiniers, propriétaires et exploitants à des époques précises au cours du XIXe siècle :
L’Enquête dite de l’An II menée auprès des municipalités a ainsi recensé les bâtiments; et l’Enquête de 1809 sur les moulins à farine avec une circulaire du 31 décembre 1808 adressée par le Bureau des Subsistances au Préfet des départements a abouti à l’établissement d’un état complet des moulins à farine dans chaque canton : genre de moulin, à eau ou à vent, équipement : roue perpendiculaire ou horizontale (rare) ; nombre de tournants etc.
Grâce à ce travail intense de recherches, c’est toute la vie de nos moulins qui se dévoilera à nous. Certes la tâche de recenser et de dresser un aperçu historique de l’ensemble des moulins ayant existé en Avesnois n’a pas été facile. Cependant nous avons pu retrouver des moulins à jamais disparus et que nous n’aurions jamais soupçonné d’avoir existé dans tel ou tel village de notre région.
l’Avesnois aux nombreux moulins à usages multiples
Le réseau hydraulique de l’Avesnois est dense et ses multiples cours d’eau ont possédé de nombreux moulins. Par conséquent notre travail de recensement a été important.
Il y eut différents types de moulins à eau, moulins à blé, moulins à huile, à papier. Leur mécanisme servait aussi à scier le marbre, à fouler le tissu, à broyer l’écorce, à écraser le brai (braye) c’est-à-dire l’orge ou l’épautre utilisés par les brasseries…etc. Il y eut aussi les ouvrages à usages industriels : forges, fourneaux, fenderies et platineries. Certains moulins à farine se verront remplacés par des scieries ou des filatures. Il y eut aussi un moulin à faïence et à couleurs à Ferrière-la-Grande.
Nous nous limiterons aux moulins à farine quant à leur descriptif détaillé. Pour information les meules de l’Avesnois n’écrasaient que de l’épeautre, variété de blé à grain vêtu et étaient appelées meules à écoussière ou à écoudre l’épeautre.
Aujourd’hui beaucoup de ces moulins, situés alors sur de petits ruisseaux plus ou moins asséchés l’été et gelés l’hiver, ont disparus et d’autres sont laissés à l’abandon voire en ruine. Certains ont été transformés en demeure. Fort heureusement un petit nombre d’entre eux ont été restaurés. L’Avesnois compte ainsi les plus beaux moulins avec ceux de Maroilles, Grand-Fayt, Liessies…
Historique par rivière
La grande diversité des cours d’eau de l’Avesnois constitue une caractéristique importante de son paysage, marquant de son empreinte, ici et là, les plaines et les vallées. L’Avesnois est un pays de rivières qui a su jouer de l’eau au cours du temps. Le plan de notre étude s’articulera donc autour des 13 principales rivières de notre territoire, en partant de leur source. Nous descendrons ainsi la Rivièrette, l’Helpe Majeure, l’Helpe Mineure, la Solre, la Thure, la Hante, la Flamenne, toutes faisant partie du bassin de la Sambre. Nous partirons aussi à la recherche des moulins situés sur la Trouille, l’Hogneau, l’Aunelle, la Rhônelle, et l’Ecaillon. Nous ferons également un recensement des moulins situés sur les autres petites rivières qui sillonnent notre région.
L’Avesnois comptait alors avant la Révolution de 1789,159 moulins à eau. L’inventaire de Dieudonné de 1801 en recensait 108. L’inventaire de 1804 en dénombrait 151 , ce qui faisait en moyenne un moulin pour 100 habitants. L’inventaire de 1873 de MP Chevalier en répertoriait 146, forges et scieries de marbre non comprises. (cf. Inventaire des moulins en Avesnois). En 1885 l’arrondissement d’Avesnes en possédait encore 150. L’évolution technologique et la première guerre mondiale modifièrent radicalement le tissu économique lié à l’activité de minoterie. En 1960 seuls trois moulins tournaient encore : Sars-Poteries, Beaudignies et Wattignies-la-Victoire, tous arrêtés respectivement en 1963, 1991 et 1995.
Préservation et rôle économique des moulins existants
Ces bâtisses doivent être préservées du temps car elles témoignent de notre histoire. Ces propriétés sont en effet les derniers témoins de tout un patrimoine et de souvenirs des métiers d’antan. Ces moulins ont d’abord servi bien sûr à nourrir la population, avec le souci constant du pain quotidien. Certains ont été transformés en filature créant une activité textile comme à Fourmies, Glageon, Wignehies, Trélon Anor et d’autres reconvertis en scierie de marbre engendrant une véritable industrie de la pierre comme à Wallers-en-Fagne ou à Marbaix. En plus de créer de multiples emplois, ils nous ont laissé de très beaux villages construits de cette jolie pierre calcaire gris bleutée.
Préservons donc ces derniers vestiges dont certains disposent encore des plus belles ventelleries en pierre de taille de France. A notre époque de promotion d’énergies renouvelables, peut-être pourrions-nous pour certains les « ressusciter » en leur faisant produire de l’électricité verte. Joindre l’utile à l’esthétique en quelque sorte…Leur adjoindre une fonction écologique serait probablement un très bon moyen de leur faire « traverser » les temps modernes.
Pour beaucoup d’entre eux ils peuvent jouer un rôle touristique important en Avesnois en étant force d’attraction en termes de découverte et en étant source de randonnées, de circuits, d’étapes. Sur un plan écologique ces moulins, en leur adjoignant des sondes multiparamètres par exemple, peuvent devenir des stations aquatiques de surveillance. Ils peuvent ainsi contribuer à la qualité de l’eau, à la préservation de ces milieux si importants pour la faune et la flore et aussi à la maitrise des risques d’inondation. Certains peuvent devenir des relais afin de sensibiliser le public à une meilleure gestion durable de la ressource en eau.
Depuis 1973, l’Association régionale des amis des Moulins du Nord-Pas-de-Calais (ARAM) présidée par Mr Jean Bruggeman œuvre à la préservation de ce patrimoine.
La restauration, l’aménagement et la réhabilitation de ces édifices s’inscrit également de nos jours grâce au concours du SAGE de la Sambre (Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) et du SIAECEA, syndicat Intercommunal d’aménagement et d’entretien des cours d’eau de l’Avesnois. Le rôle du domaine public prend ici toute son importance.
Cette publication n’a d’objectif principal que de porter un regard nouveau à ces témoins des temps révolus afin que le lecteur ait envie de venir découvrir ceux qui on traversé les époques et qui font partie intégrante de notre patrimoine.
Je vous invite à partir à la découverte de nos moulins au fil de l’eau et des siècles.
Jean Pierre CARRE